CHAPITRE V

 

 

Que disent les Shin’a’in ? se demanda Ventnoir en regardant le grand duc Tremane échafauder des plans en prévision de l’échec de toutes les contre-mesures prises jusqu’ici.

Ah, oui : « Le meilleur plan ne résiste jamais au premier engagement contre l’ennemi ». Comment l’Empire peut-il être aussi puissant, alors que ces gens planifient tout et n’importe quoi ?

Ils étaient assis dans les quartiers privés du grand duc, autour d’une table couverte de cartes et de documents.

— Qu’en pensez-vous ? demanda Tremane. Mes érudits n’ont pas pu découvrir plus d’informations au sujet du Cataclysme, et mes mages n’ont pas été capables de prédire les dégâts causés par les tempêtes.

Elspeth fit la grimace.

— Je crains de ne pas en savoir plus que vous. Elle regarda Ventnoir, qui haussa les épaules.

— Je connais seulement la tradition orale de mon peuple. Les effets du Cataclysme avaient de quoi impressionner. Toute magie était impossible, du Mur de Glace, au nord, jusqu’à la frontière de l’Empire Haighlei, au sud, et à une distance égale, à l’est et à l’ouest, des deux forteresses – aujourd’hui le lac Evendim et les Plaines de Dhorisha. J’ignore si des boucliers résistèrent au Cataclysme, mais je dois admettre qu’il n’y avait aucun grand mage parmi le groupe de Kaled’a’in dont descendent les miens.

— Donc, pas un bouclier ne subsistera ? insista Tremane en jouant nerveusement avec un crayon.

Cet homme payerait n’importe quel prix pour retrouver le contrôle de sa variante de magie !

Maintenant que cette région d’Hardorn était plus ou moins protégée des tempêtes, Tremane avait ordonné qu’on utilise judicieusement la magie pour suppléer à l’absence de certaines ressources. Le manoir et les casernes étaient chauffés et éclairés grâce à la magie. La moitié du temps, leurs repas étaient cuits sur des fourneaux magiques. Cela améliorait les conditions de vie, surtout dans les casernes, jusque-là très sombres. Mais Ventnoir et Elspeth devinaient que Tremane aurait voulu pouvoir utiliser son pouvoir comme il l’avait toujours fait. Hélas, c’était impossible. D’une part, l’énergie était à un très bas niveau, puisque Ancar l’avait drainée partout dans son royaume. Il en restait assez pour les feux et les lampes… Mais pas pour des choses compliquées, comme la vision à distance ou la création d’un mur magique pour repousser les monstres. D’autre part, si les effets des tempêtes étaient amortis, Hardorn les subissait toujours, et même un peu plus violemment à chaque nouvel assaut.

— Je l’ignore, répondit enfin Ventnoir. Il faudrait poser la question aux k’Leshya, et il est difficile de les contacter en ce moment.

Il remarqua l’air absent d’Elspeth – elle communiquait avec son Compagnon – et attendit qu’elle prenne la parole. Tremane oubliait sans cesse que Gwena assistait aux conversations en pensée, même si elle n’était pas présente à leur table. Elle n’allait pas laisser passer une chance de le lui rappeler !

— Gwena dit qu’elle peut relayer la question par le biais de Cymry, le Compagnon de Skif, qui est dans la Vallée k’ieshya, et avoir une réponse dans deux jours, annonça Elspeth.

Voyant des petites rides aux coins de ses yeux, Ventnoir sut qu’elle se retenait de rire. Gwena avait dû se plaindre de la mémoire défaillante de Tremane, mais ils étaient en mission diplomatique, et ce n’était pas le genre de reproches à faire à leur hôte.

— Un de leurs mages devrait la connaître. Et si ce n’est pas le cas, elle se propose de questionner An’desha, à la Tour, par le biais de Florian.

Tous les Compagnons n’avaient pas la faculté de communiquer sur de si longues distances. Ventnoir estimait qu’il y en avait seulement deux : Gwena et Rolan, le Compagnon du Héraut de la Reine. Ils étaient spéciaux – « nés du Bosquet » – et avaient des pouvoirs particuliers. Dans l’histoire de Valdemar, il y avait toujours eu, pour une époque donnée, un seul Compagnon né dans ces conditions. Mais s’il existait un moment où un second se révélait nécessaire, c’était bien celui qu’ils vivaient.

Tremane se mordilla les lèvres et se passa une main dans les cheveux.

— Si les armes de la Tour sont toujours intactes, ça signifie que des boucliers ont tenu, non ? Elle devait en avoir de très puissants.

— À moins que les choses placées au cœur du Cataclysme ne bénéficient d’une protection naturelle, comme dans l’œil d’un cyclone, rappela Elspeth en enroulant autour de son index une mèche de cheveux châtains striée de gris. Je ne compterais pas là-dessus. Ni sur notre capacité, seuls ou ensemble, à dupliquer les boucliers créés par les mages de cette époque. Ils étaient capables de créer des êtres vivants – griffons, basilics, wyrsas… J’ignore si un mage d’aujourd’hui le pourrait.

Ventnoir s’éclaircit la gorge.

— Pour en revenir à votre question… Après le Cataclysme, les flux magiques ont complètement changé. Nous devons supposer qu’il se passera bientôt la même chose. Quant au monde physique… Eh bien, les Frères du Faucon continuent à réparer les dégâts provoqués par les tempêtes d’origine. Si vous trouvez terribles les monstres que vous avez vus, attendez qu’ils soient des centaines, voire des milliers, ou que leur nombre excède celui des créatures normales.

Ventnoir pianota un moment sur la table, le temps de faire quelques calculs.

— Pour vous donner une idée, il nous a fallu deux mille ans pour purifier un territoire qui fait à peu près la moitié de la superficie de votre Empire.

— Alors, que suggérez-vous ? demanda Tremane. Elspeth et Ventnoir échangèrent un autre regard.

— Si nos amis de la Tour, échouent, répondit Ventnoir, prévenez autant de monde que vous le pourrez, érigez tous les boucliers et les abris possibles – en sachant qu’ils ne tiendront pas – et serrez les dents. Puis échafaudez vos plans après avoir vu les dégâts.

Le grand duc fit la grimace, mais n’émit pas de commentaires.

— Duc Tremane, dit Elspeth, compatissante, je sais que c’est difficile pour vous. Au moins, vous êtes à la tête d’un pays pauvre en énergie magique, et qui n’en a jamais dépendu. La plupart des constructions tiendront. Les poêles continueront de chauffer vos habitations et les bougies de les éclairer. Vous cuisinerez dans des fours normaux, comme cela s’est toujours fait. Hardorn est prêt à tout, sauf aux effets que l’Ultime Tempête aura sur le monde physique. Mais vous pouvez vous y préparer en connaissant ceux du Cataclysme d’origine.

— Je sais… Je sais aussi que l’Empire n’aura pas autant de chance. Il s’écroulait déjà au moment où j’ai proprement vidé un entrepôt. Les hommes n’avaient pas entendu parler de leurs supérieurs depuis des semaines, et maintenant… Je ne peux pas imaginer le chaos qui règne là-bas. Les choses étaient déjà difficiles pour nous avant. Mon seul réconfort était de croire qu’elles ne pouvaient pas s’aggraver. J’avais tort. Et aujourd’hui je dois tirer des plans en conséquence.

Elspeth secoua la tête.

— Non, Tremane. Vous pouvez avertir les gens de ce qui les attend. Et mettre en place des systèmes de communication pour vous informer une fois que le pire sera là. Les tours de signalisation, par exemple. Elles sont presque aussi efficaces que des Compagnons. Une de vos priorités devrait être de vous assurer qu’elles sont tenues par des personnes compétentes. Une autre, d’en faire construire davantage. Si chaque village avait sa tour, comme chaque hameau valdemarien a accès à un Héraut, vous pourriez aider les gens avant que leur messager ait pu se présenter devant vous.

Ventnoir acquiesça.

— N’organisez rien en fonction d’événements spécifiques. Ce serait une perte de temps.

— Vous me conseillez donc une grande souplesse d’esprit ? (Tremane réfléchit, puis hocha la tête.) Je vois… (Il soupira.) Prévoir des moyens de communication et véhiculer l’information tant qu’il en est encore temps. C’est bien, tant que les points sensibles sont dans des zones habitées. Dans le cas contraire, nous risquons de découvrir soudain un nid de créatures qui massacreraient une ville entière avant que nous nous en rendions compte…

Il se massa le front. Ventnoir vit de la douleur passer dans son regard.

— S’il y avait un moyen de surveiller la terre ! Avant, j’en chargeais mes mages. Je donnerais n’importe quoi pour que ce soit encore possible.

Ventnoir et Elspeth se regardèrent.

Qu’en penses-tu ? Si ça n’est pas une ouverture…

Si nous parvenons à lui faire croire au sens de la terre, répondit la jeune femme avec un certain pessimisme. Mais tu as raison. C’est une ouverture idéale.

Toi, ou moi ? demanda Ventnoir.

Moi d’abord. Je suis la fille d’une reine, un Héraut et l’experte locale en magie de l’esprit. On s’attend à ce que je sache de quoi je parle. Si tu as quelque chose à ajouter, interromps-moi quand tu voudras.

Ventnoir croisa les mains sur la table pendant qu’elle s’éclaircissait la gorge.

— Tremane, j’ai peut-être la solution à ce problème. Bizarrement, ça fait partie de la proposition que les Hardorniens extérieurs à votre domaine m’ont demandé de vous faire. (Elle eut un sourire d’excuse.) Vous deviez vous attendre à ce que les loyalistes nous prient de les représenter, au même titre que l’Alliance. Nous leur avons promis de transmettre leur offre dès la première occasion, et rien de plus. Cela nous a semblé sans conséquence.

Le grand duc releva la tête, soupçonneux.

— Une proposition ? Quel genre de proposition ? Elspeth se mordilla les lèvres et baissa les yeux sur ses mains. Pas des mains de princesse élevée dans du coton. Ventnoir pensait que Tremane l’avait remarqué.

— Une offre intéressante. Il semble qu’ils vous aient observé, et que vous les ayez impressionnés. Dans certaines circonstances, ils ne seraient pas mécontents de faire la paix avec vous. Et ils vous proposeraient la couronne d’Hardorn.

On eût dit qu’Elspeth avait flanqué un coup derrière la tête du duc. La première fois qu’il manifestait de la surprise.

— La couronne ? Ils veulent faire de moi leur roi ? Et les héritiers de leur lignée royale ?

— Il n’y en a plus, répondit Ventnoir. Ancar y a veillé. Il a éliminé les hommes, les femmes, les enfants et même les bébés. Aujourd’hui, vous avez autant droit au trône que n’importe quel Hardornien…

Nous avons appris tout ça lors de notre dernière visite, mais mieux vaut ne pas le mentionner.

Tremane ne pâlit pas, mais il paraissait bouleversé.

— Moi qui croyais que l’Empire n’avait pas d’égal en matière d’intrigues et de tueries, murmura-t-il. (Puis il cligna des yeux et se reprit.) Quelles sont les « circonstances » dont vous avez parlé ? Et comment devenir roi pourrait-il m’informer ?

— Je vais vous demander de faire preuve d’imagination, répondit Elspeth. Vous savez que la magie de l’esprit existe, car nous l’utilisons devant vous depuis notre arrivée.

Tremane acquiesça avec une certaine hésitation.

— Vos Guérisseurs utilisent une magie qui lui ressemble, mais qui n’est pas de la magie de l’esprit. Et vous savez que ni l’une ni l’autre ne sont affectées par les tempêtes, contrairement à ce que nous, à Valdemar, appelons la vraie magie.

— Jusqu’ici, je vous suis, fit Tremane.

— Eh bien, pour autant qu’on le sache, il existe une autre forme de magie. Elle ressemble aux deux autres, pourtant, elle est différente, car consacrée à préserver la santé de la nature. Celle qu’utilisent les sorciers de la terre. Ces gens, m’a-t-on dit, font référence à leurs pouvoirs en l’appelant magie de la terre. Pour eux, ce que vous, Ventnoir et moi utilisons est de la « haute magie ».

Bien. À présent, parle-lui des Adeptes Guérisseurs tayledras pendant que je réfléchis à un moyen d’introduire dans la conversation le rituel de connexion avec la terre.

Ventnoir hocha imperceptiblement la tête.

— Les Tayledras ont des Adeptes spécialisés, appelés des Adeptes Guérisseurs, Ils ont la faculté de sentir les zones empoisonnées par une magie néfaste et de les « soigner ». Si vous avez besoin de preuves, demandez-vous comment nous avons pu guérir un si vaste territoire, après le Cataclysme. La faculté spéciale qui a rendu ça possible – Elspeth appellerait ça un don – est ce que nous appelons le « sens de la terre ».

— Les Adeptes Guérisseurs tayledras et les sorciers de la terre ne sont pas les seuls à l’utiliser, dit Elspeth. Le roi du Rethwellan et mon beau-père le prince Daren ont tous deux le sens de la terre. Apparemment, ce don est héréditaire dans la lignée royale rethwellane. Les souverains n’en ont pas eu besoin depuis des générations, mais il reste utile. Daren n’avait pas été rituellement connecté à la terre hardornienne. Pourtant, il a senti qu’Ancar l’avait malmenée, quand il est venu en aide à Valdemar pour le combattre. Un atout tactique, car, grâce à ce don, nous avons su d’où Ancar tirait ses pouvoirs.

Tremane acquiesça.

Comme Ventnoir l’avait espéré, il avait retenu la phrase clé :

— Que signifie « rituellement connecté à la terre » ?

— Les monarques du Rethwellan – et, je présume, d’Hardorn – participent à un rituel très ancien connu sous le nom de connexion à la terre, répondit Elspeth. Comme ce genre de rituel n’existe pas à Valdemar, je ne peux pas vous dire en quoi il consiste. Mais une fois qu’il est accompli, le roi sent les changements et les blessures de sa terre. Évidemment, Ancar n’a pas consenti à ce rituel, sinon il n’aurait jamais pu ravager ainsi son propre royaume. Comme c’est le cas au Rethwellan, ce rituel, en Hardorn, fait sûrement partie des cérémonies secrètes qui ont lieu avant le couronnement public. Ancar s’est couronné lui-même, sans s’embarrasser des traditions, alors… (Elle haussa les épaules.) Selon mon beau-père, ce rituel éveille le don chez ceux qui possèdent le sens de la terre à l’état latent.

— Les Hardorniens ont retrouvé des prêtres des anciennes traditions qui maîtrisent ce rituel, précisa Ventnoir quand, du regard, Elspeth le pria de prendre le relais. Ils peuvent vous tester. Si vous avez le sens de la terre, même latent, vous monterez sur le trône. À condition de participer au rituel, qui ferait de vous un monarque sûr, car vous seriez incapable de blesser, d’abuser ou de maltraiter la terre comme l’a fait Ancar.

— Parce que je sentirais dans ma chair les souffrances que je lui infligerais ?

Tremane leva un sourcil, sceptique.

Va-t-il éclater de rire ? demanda Elspeth, dubitative.

Ventnoir ne lui en voulut pas de sa réaction. Ce concept devait sembler primitif et barbare à un homme de l’Empire de l’Est qui utilisait la magie pour pratiquement tout.

Mais Tremane ne s’esclaffa pas. Au contraire, il réfléchit avec un grand sérieux.

— Pouvez-vous m’en dire plus sur le sens de la terre ? Qu’implique-t-il ? Comment apprend-on à l’utiliser ?

— Parmi les miens, ce n’est pas très compliqué, répondit Ventnoir. On n’apprend pas à l’utiliser, mais à éviter qu’il vous utilise. En un sens, ça ressemble à l’Empathie, ou à un don très puissant de parole par l’esprit. Il faut apprendre à le bloquer, afin qu’il ne vous ennuie pas sans cesse.

— Intéressant… Il serait très ennuyeux d’être incommodé par le don censé vous servir. A l’inverse, l’état de santé du roi peut-il affecter la terre ?

— Dieux, non ! s’écria Elspeth. Le roi n’est pas aussi… monumental que son pays ! Ce serait comme une puce sur un cheval. Et puis, ce n’est qu’un sens, comme l’odorat, le goût…

Elle se tut en voyant Ventnoir secouer la tête.

— Je déteste contredire Elspeth, mais ce n’est pas entièrement vrai. Dans certaines circonstances spécifiques, la santé du roi affecte la terre. Et le roi peut même se sacrifier pour redonner la santé à sa terre. Les Shin’a’in le savent et ils y ont eu recours – rarement – par le passé.

« Mais je doute que les Hardorniens pratiquent cet aspect du rituel. Comme pour toute chose, il existe des dizaines de façons de s’y prendre, et rien de ce qu’ils nous ont dit ne suggère qu’ils connaissent cette pratique. J’ajoute que pour être valable, ce sacrifice doit être librement consenti par la victime. (Il eut un pâle sourire.) Traîner son roi jusqu’à un autel et l’égorger sert seulement à engraisser l’herbe qui pousse alentour. Cela ne change rien, sans la volonté de se sacrifier.

Tremane fronça les sourcils en réponse à cette dernière remarque, mais il ne fit aucun commentaire.

Au bout d’un moment, il se leva.

— J’aimerais réfléchir à tout ça, dit-il. Vous savez comment contacter les Hardorniens qui ont fait cette proposition, quand j’aurai pris ma décision ?

Je peux trouver un contact, dit Gwena dans leurs deux esprits.

— Oui, assura Elspeth.

— Bien, alors donnez-moi… une heure. Je vous enverrai chercher, si vous n’y voyez pas d’objection.

Le petit déjeuner étant déjà loin, ce fut l’occasion d’envoyer un assistant impérial leur chercher à manger. Ventnoir et Elspeth ne virent donc aucune objection. Après les politesses d’usage, ils se retirèrent, laissant Tremane assis dans son fauteuil, le regard rivé sur son anneau ducal.

Les deux émissaires se régalaient d’un solide déjeuner composé de viande froide, de pain et de fromage quand Gwena leur annonça qu’elle avait un contact.

Va à la Taverne de l’Oie Qui Pend après la tombée de la nuit, dit-elle à Ventnoir. Il faut que ce soit toi, parce que Elspeth ne serait pas très bien accueillie dans ce genre d’établissement. Et si vous êtes deux, notre homme se méfiera.

Elspeth échangea un regard plein d’ironie avec Ventnoir. Puis elle haussa les épaules et se concentra sur son repas.

Tu iras voir l’homme qui sert la bière, pas celui qui s’occupe des alcools forts. Tu lui diras : « Je bois ma bière très froide. » Il est censé te répondre : « Une drôle d’habitude. » Alors, tu préciseras : « Je l’ai prise dans l’ouest. » Le type acquiescera et tu lui donneras ton message. Il a une excellente mémoire, donc il le répétera mot pour mot à qui de droit. Si Tremane décide d’accepter la proposition, la délégation arrivera dans quelques jours. Peut-être même plus tôt. Les loyalistes ont sûrement placé quelqu’un dans un village voisin, espérant que vous transmettiez rapidement leur offre.

— Je les soupçonnais d’avoir des agents en ville, fit Elspeth. Je doute qu’ils puissent en savoir autant sur Tremane par ouï-dire. Et leur réseau semble en place depuis quelque temps. Je me demande si cette taverne n’était pas un lieu de rendez-vous… pour d’autres choses.

Elspeth fit un sourire suggestif à Ventnoir.

— Je ne suis qu’un pauvre éclaireur tayledras ignorant des mœurs citadines. Quelles autres choses ?

— Contrebande, peut-être… Ou des complots pour renverser Ancar. Je crois savoir pourquoi Gwena ne veut pas que j’y aille, seule ou avec toi. (Elle sourit d’une remarque de son Compagnon.) C’est bien ce que je pensais. (Elle tapota la main de Ventnoir.) Les dames qui travaillent dans cette taverne ne vendent pas seulement à boire et à manger, mon pauvre Tayledras. Je te suggère de leur faire comprendre que tu n’es pas intéressé, si tu ne veux pas ramener une maladie dont seul un Guérisseur pourra te débarrasser.

Ventnoir lui rendit son sourire. Il essayait de trouver une réplique quand l’assistant de Tremane vint les chercher.

Le grand duc ne semblait pas différent de l’homme qu’ils avaient quitté. Ils s’assirent et attendirent qu’il prenne la parole.

— Pour être franc, je ne suis pas convaincu que le sens de la terre existe. Et s’il existe, je ne pense pas le posséder. Parmi toutes les personnes qui auraient pu être envoyées ici, ce serait une étrange coïncidence que je sois celle qui ait le don requis. Le genre de chose qu’inventent les conteurs…

— Possible, répondit Ventnoir. Mais réfléchissez avant de refuser la proposition. Si le sens de la terre existe, et que sa forme extrême puisse être… déclenchée, dirons-nous… par ce rituel, alors sa forme latente serait une chose très utile à un seigneur terrien. Sa possession expliquerait pourquoi certains semblent toujours savoir ce qui se passe sur leurs terres et avec leurs gens. Cela expliquerait aussi leurs remarquables intuitions.

— Effectivement, reconnut Tremane.

— Donc, on peut présumer que les lignées de seigneurs doués sont plus prospères que les autres, ce qui leur permet d’accéder aux plus hautes fonctions, insista Ventnoir. En résumé, il est logique de penser qu’un seigneur prospère a hérité le don, parce que sans lui, ses prédécesseurs n’auraient jamais pu réussir aussi bien.

Tremane rit – pour la première fois en leur présence. Ventnoir aima le son de son rire. Il jugeait souvent le caractère des gens sur ce critère.

Le rire de Tremane était ouvert, généreux… et pas le moins du monde emprunté.

— Si vous n’étiez pas né parmi les Frères du Faucon, vous auriez été diplomate, courtisan ou prêtre, maître Ventnoir. Vous savez tourner un argument. Bien, maintenant, écoutez-moi.

Ventnoir et Elspeth hochèrent la tête. Alors, Tremane se lança dans son propre raisonnement.

— Vous devez le savoir, et ils doivent le savoir aussi : avec ou sans le sens de la terre, si je réussis à rétablir l’ordre – ce que j’ai déjà fait – les gens se rallieront à ma bannière, que je porte ou non la couronne. C’est le secret du succès impérial : nous attendons qu’un pays soit désorganisé et démoralisé, puis nous l’envahissons et nous lui apportons la paix et la prospérité. Généralement, les gens nous accueillent à bras ouverts. Constatant qu’il y a des avantages à faire partie de l’Empire, ils passent le mot, et sont à moitié conquis avant même de voir le premier soldat impérial.

— Une logique implacable, admit Elspeth. Tremane continua, frappant du bout de l’index sur la table pour souligner ses paroles.

— Faites-leur savoir cela : quoi qu’il arrive, je compte garder cette partie de leur pays, mes hommes et les Hardorniens qui ont accepté mes lois avant cette histoire de connexion.

— Je crois qu’ils en sont conscients, Tremane, répondit Elspeth avec une égale franchise. Mais je m’assurerai que cet arrangement soit reconnu par les deux parties. Pour être honnête avec vous, les Hardorniens n’auraient pas les moyens de vous déloger. Pour ça, il faudrait une armée. Or, les seules qui soient assez puissantes sont celles des Alliés. Comme nous sommes ici en gage de paix et de bonne volonté, inutile de vous inquiéter.

— Parfait. Je voulais que tout soit clair. Je ne peux pas dire que je brûle de me soumettre à ce rituel, qui me paraît primitif. Mais même si je n’ai pas le sens de la terre, il est possible que les prêtres le croient. Ce serait le moyen le plus rapide de prendre l’ensemble d’Hardorn sous mon aile. Sans bain de sang.

Il eut un sourire timide. Ventnoir devina que c’était un instant très rare, car Tremane semblait encore moins enclin à sourire qu’à rire.

— Comment pourrais-je décliner une telle offre ?

— A votre place, je ne le ferais pas, dit Ventnoir. Bien, est-ce votre message ?

— Oui. Maintenant, veuillez m’excuser, mais j’ai des affaires urgentes à régler. Mon assistant se fera un plaisir de vous raccompagner. Si vous voulez aller en ville, il sera ravi de vous guider.

Ce ne sera pas nécessaire, répondit Gwena.

— Merci, dit simplement Ventnoir.

Une fois de plus, ils se séparèrent après les politesses d’usage. Ventnoir remarqua l’air pensif d’Elspeth.

Celle-ci attendit, pour parler, d’être de retour dans leur suite.

Elle se réchauffa, le dos contre le poêle qui contenait le feu magique. De vraies flammes brûlaient dans la cheminée. Ces deux sources de chaleur réussissaient à rendre leurs appartements agréables. Mais il faisait toujours froid dans les couloirs du manoir.

A l’évidence, c’était un des hivers les plus rudes qu’Hardorn eût connu, même sans les effets des tempêtes magiques. Depuis que ces dernières leur étaient épargnées, environ toutes les deux semaines, ils subissaient des tempêtes de neige mais sans les blizzards meurtriers. La couche de poudreuse était si épaisse que le soleil ne parvenait pas à l’entamer entre deux chutes.

Les uniformes blancs que les hertasis avaient confectionnés pour Elspeth étaient assortis au paysage glacé. Ventnoir se demanda ce que les soldats impériaux pensaient en la voyant. Croyaient-ils qu’elle changeait de couleur au fil des saisons, comme les éclaireurs tayledras ?

— Tu sais, dit Elspeth en tayledras, cette situation me rappelle l’histoire de Valdemar. Sa Fondation, pour être plus précise.

— Oh, fit Ventnoir en venant rejoindre sa compagne près du poêle. (Ah, s’il avait eu une source chaude à sa disposition… Il lui semblait ne jamais pouvoir se réchauffer, sauf quand il était au lit.) Je l’ignorais…

— Eh bien, Valdemar avait fui l’Empire, car il refusait de le servir. Quand ses gens et lui arrivèrent là où se dresse aujourd’hui Haven, ils s’installèrent à côté d’un village. Les autochtones ne furent pas enchantés de voir débouler une puissance étrangère, mais ils ne s’y opposèrent pas. Et quand ils virent les avantages de se placer sous sa protection – et la manière dont le baron traitait ses gens –, ils agirent comme les Hardorniens se comportent aujourd’hui avec Tremane. Finalement, ils le prièrent de prendre le titre de roi. C’est plutôt drôle : tous les tyrans locaux se faisaient donner du « roi », et les fidèles de Valdemar étaient gênés d’être gouvernés par un simple baron. Ils fabriquèrent une couronne, s’adressèrent à un prêtre pour qu’il imagine une cérémonie, et le couronnèrent avant qu’il n’ait pu protester. Je suppose qu’il était très étonné de ce qui lui arrivait.

Ventnoir éclata de rire.

— C’est la première fois que j’entends parler d’un homme forcé de devenir roi. Mais tu as raison, je vois la similitude.

Elspeth se rembrunit.

— Il est prudent de présumer que Tremane se verra offrir la couronne quoi qu’il arrive.

— Oui, la décision est déjà prise, renchérit Ventnoir. Même s’il n’a pas le sens de la terre, le prêtre peut choisir de mener le rituel à son terme. Je crois qu’il a raison sur ce point.

— Le problème, c’est comment avoir le même contrôle sur le roi d’Hardorn que sur le Fils du Soleil, le roi du Rethwellan et la reine de Valdemar ? Solaris obéit à Vkandis, Faram a le sens de la terre – et son épée de famille à contenter – et Selenay a son Compagnon. Mais il y a peut-être déjà un certain contrôle en place. Après tout, Solaris a maudit Tremane, l’obligeant à dire la vérité.

— Oui, mais pas l’entière vérité. On peut mentir en ne disant pas tout.

Elspeth tourna le dos à la chaleur pour arpenter la pièce, ce qu’elle faisait toujours quand elle réfléchissait.

— Tu vas peut-être penser que je deviens folle, mais je commence à être d’accord avec Karal. Je crois que cet Impérial a un bon fond. Cet entretien au sujet des meurs, quand nous sommes arrivés…

Ventnoir acquiesça. Tremane était le genre d’homme assez honnête pour porter le fardeau d’avoir fait assassiner des innocents… et pour se sentir coupable pour le reste de sa vie. Vraiment coupable. Et peu importait qu’il ait eu de bonnes raisons d’agir ainsi. L’essentiel, c’était qu’il avait changé au cours des derniers mois. Ce qui lui semblait autrefois acceptable ne l’était plus.

Mais Ventnoir avait également conscience que Tremane était un excellent acteur – comme la plupart des chefs.

— J’ai encore quelques réserves, dit-il au bout d’un moment. Le passé est immuable. Le grand duc a fait des choses terribles sans que nous l’ayons provoqué. Il le regrette peut-être aujourd’hui, mais qui sait s’il ne recommencera pas sous la pression ?

Elspeth soupira.

Je crois préférable de continuer cette conversation sans risquer d’être entendus.

Bonne idée. Sejanes a appris le valdemarien par magie. D’autres ont peut-être suivi son exemple. (Il n’y avait sûrement pas assez d’énergie pour ça, mais pourquoi courir le risque ?) Les Tayledras sont soupçonneux de nature. J’aimerais savoir si l’Empire a étouffé le bon cœur de Tremane, ou s’il a décidé de se « déguiser » pour tromper les Hardorniens.

Il est en position défaire plus de bien que de mal, dit Gwena, se joignant à la conversation.

Gwena a raison. Et c’est exactement ce qu’il a fait, renchérit Elspeth. Certes, il s’est approprié ce manoir, mais il mène une vie simple, pour le « roi sans couronne » de la région. Il mange la même nourriture que ses hommes et ne gaspille pas des ressources précieuses en divertissements extravagants. Au contraire, il s’en sert pour la communauté. Il ne demande pas à ses hommes de se lancer dans des missions qu’il refuserait. D’ailleurs il prend souvent leur tête.

Il pense à ses soldats, aux autochtones, puis à leurs bêtes et à leurs terres, avant de se soucier de lui, continua Gwena. C’est ce que j’ai constaté, et si certaines de ses actions peuvent paraître opportunistes, toutes ne le sont pas.

Ventnoir sourit.

S’il était beau, je serais jaloux. Cet homme a réussi à séduire les deux dames de ma vie.

Elspeth prit un encrier et fit mine de le lui lancer à la tête.

Il se baissa.

Considère que je t’ai flanqué un coup de sabot, dit Gwena.

Honnêtement, ke’chara, j’aimerais lui donner une chance défaire ses preuves. La manière dont il affrontera la prochaine crise – qui devrait être terrible – nous dira de quel bois il est fait, conclut Elspeth.

Ventnoir se demanda s’ils ne commettaient pas une terrible erreur. Ils voulaient croire que cet homme se permettait enfin d’agir selon son éthique. Que ressentait-on, quand on passait toute sa vie à comploter sans se demander si c’était bien ou mal ? S’il avait été dans cette position, Ventnoir serait devenu fou.

Très bien, dit-il enfin. Mais j’ai une condition. S’il se révèle une menace pour l’Alliance – s’il doit nous coûter d’autres vies – nous nous chargerons de lui.

Tu veux dire que nous le tuerons, traduisit Elspeth. Je n’aime pas ça… mais je ne veux pas d’un autre Ancar, et encore moins d’un nouveau Fléaufaucon. Il est habitué à avoir des pouvoirs, alors il pourrait être tenté par la magie noire pour les récupérer. (Elle frissonna.) Je préfère avoir son sang sur les mains plutôt que de le laisser massacrer des innocents.

Un dilemme moral… Quand le meurtre devenait-il acceptable ? Mais les Tayledras étaient confrontés depuis toujours à cette question. Et Ventnoir ne faisait pas exception. Les intrus étaient avertis trois fois. S’ils choisissaient d’ignorer ces avertissements, leurs intentions étaient forcément mauvaises. Combien de chasseurs de tervardis et de hertasis, combien de mages désirant acquérir des pouvoirs douteux, combien de tueurs de Tayledras avait-il éliminés au fil des ans ? Il ne les comptait plus.

Avec un peu de chance, notre pessimisme n’est pas fondé, dit Gwena. En attendant, pendant que vous contacterez les loyalistes, je vais sonder Tremane pour voir s’il a le sens de la terre. Ventnoir, mon cher, nous allons devoir fouiller dans ta garde-robe pour trouver quelque chose de moins exotique.

Comment ça, « nous », cheval ?

Ventnoir contacta le messager. En revanche, le coup de sonde de Gwena ne leur apporta qu’un « peut-être ». Quatre jours plus tard, leur assistant frappa timidement à leur porte juste après le petit déjeuner.

— Excusez-moi, ambassadeurs, dit-il quand Ventnoir alla ouvrir. Je ne voulais pas vous déranger, mais il y a en bas un religieux qui prétend que vous l’avez convoqué.

Elspeth sursauta, surprise. Malgré l’assurance de Gwena, elle n’attendait pas si tôt une réponse à leur message. L’homme avait dû être très près de Shonar. Ainsi, les Hardorniens estimaient que leur offre était irrésistible…

— Oui, c’est la vérité, Jem, répondit Ventnoir. Nous ignorions simplement quand il arriverait. Si ça ne pose pas de problème de sécurité, faites-le monter. Dans le cas contraire, nous le rencontrerons en ville.

Jem rougit.

— Ce n’est qu’un vieil homme… aucun problème. J’ignorais que vous l’attendiez, et je craignais qu’il s’agisse d’une sorte de charlatan, ou…

L’assistant devint cramoisi, conscient qu’il les avait peut-être insultés.

— Ne vous inquiétez pas, Jem. Faites-le monter, et trouvez-nous quelque chose de chaud à boire, et de la nourriture…

Jem s’inclina, toujours rouge d’embarras, et s’éclipsa promptement. Les assistants de Tremane, des soldats, ne connaissaient rien à la diplomatie. Elspeth trouvait ça charmant : les militaires étaient beaucoup plus faciles à vivre que les civils.

Le vieil homme et le second petit déjeuner arrivèrent en même temps. Elspeth ne fut pas surprise que Jem ait pris le religieux pour un charlatan. Ses cheveux gris et broussailleux n’ayant pas été coupés depuis un certain temps, il avait la carrure d’un clerc dont les parents devaient être de modestes marchands. Son visage carré, entouré d’une courte barbe, était ridé aux coins des yeux et de la bouche. Ses robes et son manteau propres mais simples, il ne portait aucun bijou. Quant à ses manières, elles étaient discrètes et joyeuses. D’après l’expérience de Ventnoir, cet homme devait être un bon prêtre. Les bons prêtres, comme les bons professeurs et les bons chefs, donnaient plus à leurs fidèles qu’ils me prenaient pour eux, et n’étaient pas conscients de leur apparence.

Ils se présentèrent et offrirent à manger au vieil homme – le père Janas. Comme Elspeth le pensait, il n’avait pas pris de petit déjeuner.

Ils parlèrent de tout et de rien pendant qu’il se restaurait. Janas avait enlevé son manteau, montrant qu’il souffrait de privations comme la plupart de ses compatriotes. Sans être émacié, il était assez maigre.

— C’était parfait, dit-il enfin, se calant dans son siège, une tasse de thé à la main. Mon principal défaut est de ne pas résister à la nourriture. Puisque nous sommes censés nous concentrer sur le monde spirituel, pas sur le séculier, je devrai en répondre un jour ou l’autre…

Ventnoir sourit.

— Je dirais plutôt que vous témoignez un respect approprié aux bienfaits de la terre.

Le vieux prêtre gloussa, une lueur amusée dans le regard.

— Bien, venons-en à la raison de ma présence. Comme vous vous en doutez, je suis ici pour tester le duc Tremane. Ça signifie que j’éveillerai son sens de la terre, s’il existe, puis que je le connecterai à Hardorn. Rien n’indique qu’il ait le don, et je suis presque certain qu’il ignore ce qui se passera. L’un de vous le sait-il ?

Elspeth secoua la tête.

— Nous n’utilisons pas ce don à Valdemar. En tout cas, les Hérauts, les Bardes ou les Guérisseurs n’y ont pas recours, et ce sont les seuls dont je connaisse les différents types d’apprentissage. Mon beau-père le possède, mais nous n’en avons jamais parlé, et il n’est pas connecté à Valdemar. J’ai entendu dire qu’il était possible d’éveiller les dons latents, mais ça n’a pas été fait depuis ma naissance.

Ventnoir haussa les épaules quand le prêtre se tourna vers lui.

— Les Adeptes Guérisseurs tayledras développent le sens de la terre en même temps que d’autres aptitudes. Il ne leur tombe pas dessus d’un coup, et si l’un de nous l’a sous sa forme latente, nous ne prenons pas la peine de l’éveiller. J’ignore donc comment une personne réagit à votre rituel.

Le père Janas leva un sourcil.

— De manière dramatique, parfois, si le don est latent, mais pas faible. Nous pratiquons ce rituel plusieurs jours avant le couronnement, pour laisser à nos rois le temps de s’adapter à leurs nouvelles facultés, qui peuvent être puissantes, une fois éveillées.

Elspeth hocha la tête.

— Comme être soudain capable de voir, je suppose, dit-elle. En théorie, c’est bien beau… L’ennui c’est que vous êtes là pour la mettre en pratique. Quand voulez-vous voir le duc Tremane ? Devez-vous faire certains préparatifs ? Ou vous changer ?

Le père Janas lissa le devant de ses robes.

— Je souhaiterais être plus présentable, mais je crains de porter mes plus beaux atours – en fait, les seuls. Ancar ne persécutait pas directement les prêtres, mais il avait imaginé une foule de moyens indirects. Je doute que vous trouviez une organisation religieuse, en Hardorn, qui fasse plus que subsister. Certaines ont même totalement disparu. (Il secoua tristement la tête.) Mais c’est hors de propos. Bref, je n’ai pas de préparatif à faire, et j’aimerais voir le duc aussi vite que possible.

Ventnoir se leva pour demander à leur assistant de porter un message à Tremane. Mais Elspeth avait une autre idée derrière la tête.

Elle griffonna quelques mots pendant que Ventnoir parlait avec Jem, et lui demanda de délivrer la note au sergent intendant en sortant de chez le duc. Si Jem eut l’air surpris, il accepta, peu désireux de s’opposer à la volonté d’un ambassadeur.

— Que mijotes-tu ? demanda Ventnoir en refermant la porte.

Elspeth s’assit avant de répondre.

— Tremane a dit que ses hommes et lui avaient vidé un entrepôt impérial. Sachant que l’Empire aime tout contrôler, et bien qu’il n’y ait pas de religion impériale officielle, je parie qu’il y a, parmi les uniformes, des robes de chapelain de l’Armée Impériale. Et je jurerais qu’elles ressemblent à n’importe quelles tenues religieuses, car le chapelain doit conduire tous les rites.

— Je comprends, dit Ventnoir. Mais pourquoi le sergent te donnerait-il ce que tu demandes ?

Elle sourit.

— J’ai parlé avec les citoyens de Shonar. Tremane vend tout ce qu’il a en stock et qui n’est pas utile à ses soldats. Beaucoup d’Hardorniens sont vêtus d’uniformes recyclés. J’ai demandé à pouvoir acheter des robes de chapelain, s’il y en a. (Elle se tourna vers le prêtre.) Nous aurons amplement le temps de les améliorer avant que Tremane puisse vous recevoir.

Le père Janas sembla très embarrassé.

— Vraiment, c’est très gentil… Elspeth leva une main.

— Vous êtes trop généreux… Je sais que j’aurais dû vous consulter, mais nous sommes aussi soucieux de régler ce problème que vous, et je ne veux rien laisser au hasard. Le duc ignore s’il croit au sens de la terre. Je suppose qu’il accepte tout ça pour nous faire plaisir. Nous désirons qu’il participe à une cérémonie qu’il considère comme un enfantillage, et qu’il le fasse maintenant. Alors, vous devez l’impressionner, sinon il risque de se rétracter.

Ventnoir acquiesça, pensif.

— En fait, ajouta-t-il, utiliser un uniforme impérial devrait jouer en notre faveur. Il a vécu avec les chapelains. Il respectera d’instinct la tenue et ce qu’elle représente.

Le père Janas eut un petit rire.

— Il est vrai que beaucoup de gens se fient à l’apparence pour se faire une première opinion, et je crains que la mienne n’inspire pas confiance.

Cet aveu parut l’embarrasser encore plus.

Ventnoir changea de sujet et s’enquit de la situation dans le reste d’Hardorn. Le prêtre leur parla des souffrances de ses compatriotes, et souligna leur courage.

— Ce que vous avez vu en venant est représentatif des conditions générales, dit-il avec une profonde tristesse. Les gens ne meurent pas de faim, mais ils ont le ventre creux. Ils ne gèlent pas, mais ils ont froid. Il n’y a pas une seule personne, dans le pays, qui n’ait pas perdu un parent – de mort non naturelle – au cours des cinq dernières années. Et comme vous avez dû le voir, des villages entiers sont abandonnés. Les temples sont déserts, ou entretenus par des vieillards comme moi. Le pire, c’est que nous avons perdu toute une génération déjeunes hommes. Même si les choses s’arrangent, comment pourrons-nous les remplacer ? Qui seront les pères de notre prochaine génération ?

Il y a ici des milliers de jeunes hommes et aucun ne pourra jamais retourner dans l’Empire, pensa Elspeth. La plupart seraient heureux de devenir les pères de la prochaine génération d’Hardorniens. Je me demande si Janas y a songé. Mais je sais que Tremane l’a fait.

Jem revint enfin avec la réponse de Tremane. Il serait disponible aussitôt après déjeuner. Si nécessaire, il pouvait se libérer une partie de l’après-midi.

— Ce serait sage, en effet, répondit le père Janas quand Ventnoir lui posa la question.

Jem repartit avec ce second message. Peu après, un des autochtones employés comme coursiers déboula avec un paquet et une facture. Elspeth fit la moue en découvrant la somme exorbitante, mais elle sortit de sa bourse le nombre de pièces voulu. Elles étaient valdemariennes et pas hardorniennes, mais dans ces circonstances, tout le monde se fichait de l’effigie frappée sur les pièces, pourvu qu’il y ait le bon poids d’argent.

Elle tendit la somme au coursier pendant que Ventnoir donnait le paquet au père Janas.

Comme Elspeth l’avait espéré, l’uniforme officiel d’un chapelain impérial était plus ou moins identique – une fois débarrassé de ses décorations – à la robe élimée du prêtre hardornien. Même la couleur convenait.

Le père Janas se retira dans la chambre pour se changer.

Quand il sortit, Ventnoir l’examina d’un œil critique.

— Quelle forme votre dieu – ou votre déesse ? – prend-il ? Pardonnez-moi, mais je crois que vous devriez avoir l’air plus impressionnant.

Le prêtre parut surpris, mais il répondit quand même :

— Le Père-terre et la Mère-ciel sont généralement représentés par le vert et le bleu, et par un cercle, ou une sphère, moitié blanc et moitié noir.

Ventnoir s’était déjà tourné vers une pile d’accessoires multicolores dont il tira deux echarpes, une bleue et une verte, qu’il coupa en deux. Il tendit deux moitiés à Elspeth. Comprenant ce qu’il voulait, elle fila dans la chambre pour prendre son kit de couture. Quelques instants plus tard, elle passa une étole bicolore autour du cou du père Janas, verte à droite, et bleue à gauche.

C’était encore trop simple… Elle découpa des demi-cercles blancs et noirs dans deux morceaux de tissu et les appliqua sur l’étole. Pendant ce temps, Ventnoir avait disparu dans leur chambre. Il en revint avec quelques bijoux.

— Ce n’est sans doute pas le genre d’ornements que vous portez d’ordinaire… Mais ils feront l’affaire, et Tremane ne verra pas la différence entre un bijou hardornien ou shin’a’in.

Il tendit au prêtre un médaillon en cuivre passé dans une lanière en cuir. Elspeth reconnut les disques que les Shin’a’in ou leurs Alliés portaient pour s’identifier auprès des Frères du Faucon. Elle en avait reçu un, qui faisait d’elle un membre du Clan de Kerowyn et de ceux des Tayledras qu’elle était susceptible de rencontrer. Il portait un motif abstrait sur une face, et un daim sur l’autre.

La lanière en cuir ne faisant pas l’affaire, ce fut le tour de la jeune femme de gagner la chambre à coucher en courant pour fouiller dans ses affaires.

Du cuivre. Qu’ai-je donc dans ce matériau ?

Quand ils étaient partis, elle avait simplement fourré tout ce qu’elle possédait dans un sac, y compris les bijoux que Ventnoir lui avait offerts avec ses nouveaux costumes. L’éclat du cuivre attira son regard – tout au fond. Une ceinture faite d’une chaîne épaisse enroulée autour d’une autre, beaucoup plus fine.

Elle prit celle-ci, puis, après réflexion, suggéra au prêtre de se nouer l’autre autour de la taille. La robe étant un peu longue, il eut aussitôt meilleure allure.

Mission accomplie : Janas était désormais un homme différent !

Il sembla le sentir. Soudain il eut l’air moins las, et une nouvelle confiance s’ajouta à sa gaieté naturelle. Elspeth pensa qu’ils n’avaient pas perdu leur matinée.

— Ce n’est pas très canonique, dit Janas. Mais comme vous l’avez souligné, personne ici ne le saura, et c’est… hum… plus respectable, dans le sens de digne de respect. Je ne sais comment vous remercier.

— Vous nous remercierez quand nous aurons réussi, répondit Elspeth. Ah, voilà notre déjeuner.

Comme toujours, il était simple, mais copieux. Jem sembla stupéfait par la transformation du père Janas et le traita avec plus de déférence, prouvant à Elspeth qu’elle ne s’était pas trompée.

L’assistant resta avec eux, un indice que Tremane était impatient de rencontrer le prêtre.

Je crois qu’il vaut mieux laisser faire Janas, à partir de maintenant, dit Elspeth à Ventnoir.

Je suis d’accord. Il doit établir son autorité. Et après tout, nous ne sommes pas réellement impliqués dans cette affaire. Des intermédiaires, voilà ce que nous avons été…

Elspeth posa sa tasse et fit un signe discret au prêtre, qui l’interpréta correctement.

— Je crois que nous sommes prêts à rencontrer le duc Tremane, s’il peut nous recevoir, dit-il à Jem.

— Il vous attend, messire, répondit l’assistant. Si vous voulez bien me suivre ?

JJ eut l’air surpris de voir les deux ambassadeurs se lever pour les accompagner, comme s’il les avait oubliés. Apparemment, il n’était pas sûr qu’ils aient été invités.

Le père Janas résolut le problème pour lui.

— J’ai demandé aux émissaires de l’Alliance de m’accompagner, si le duc y consent.

Le visage de Jem s’éclaira.

— Certainement ! Suivez-moi, je vous prie. Pendant le court trajet jusqu’aux appartements du duc, Elspeth fut surprise de se sentir de plus en plus excitée. Quelque chose allait se produire. Elle ignorait quoi, mais cette visite ne serait pas banale.

Si seulement ma famille avait un don de prémonition plus puissant, au lieu de ces intuitions désordonnées ! Il serait agréable d’être averti avant definir ensevelis sous une montagne.

Enfin, ils furent assis en face de Tremane, dans son bureau. Une des rencontres les plus officielles – Tremane n’était jamais vraiment non-officiel – qu’elle et Ventnoir avaient eu avec lui. Il s’était vêtu de manière à incarner le grand duc, le commandant de l’armée et le pouvoir local et portait ses diverses décorations, à l’exception de celles de l’Empire.

Il avait fait allumer un feu dans l’âtre, en plus des flammes magiques qui chauffaient la pièce, et une plaisante odeur de résine flottait dans l’air. Le soleil entrait par la fenêtre. Tremane avait soigneusement choisi son fauteuil, aussi imposant qu’un trône. Son bureau le séparait de ses invités comme le mur d’une forteresse.

Elspeth était contente d’avoir osé habiller le père Janas. Se présenter dans sa robe élimée aurait nui à sa cause. Comme l’avait prédit Ventnoir, Tremane réagit à l’autorité symbolisée par un « uniforme » qu’il connaissait, et Janas partit sur un pied d’égalité avec lui.

Elspeth était consciente de tout ce qui se passait autour d’elle, ses sens aiguisés par l’attente. Ce sentiment était si fort qu’elle fut surprise de voir le duc dissimuler son ennui sous un vernis de politesses.

Si Janas fut pris de court par l’attitude de Tremane, il n’en laissa rien paraître.

— Duc Tremane, dit-il, vous savez pourquoi je suis ici. Ceux qui ont lutté contre l’Empire ont eu vent de votre défection, et ils ont vu comment vous gouvernez et protégez les gens de cette région. En conséquence, ils ont décidé que vous n’étiez pas nécessairement un ennemi d’Hardorn.

Tremane acquiesça et attendit qu’il continue. Dans son dos, le feu crépita. Personne ne sursauta.

Janas avait dû répéter son discours jusqu’à le connaître par cœur.

— Ce groupe de loyaux combattants est arrivé à une conclusion : puisque nul homme n’a pu prendre le pouvoir, ou ne dispose de vos ressources, vous êtes la personne la plus indiquée pour protéger ce pays. (Il eut un petit sourire.) Je ne vais pas y aller par quatre chemins, duc Tremane. Ces hommes sont prêts, à certaines conditions, à vous laisser acheter le trône d’Hardorn avec les soldats et les moyens que vous possédez.

Tremane sembla surpris par tant de brusquerie.

— Ça semble raisonnable, répondit-il prudemment. Et je suis d’accord pour placer ces ressources au service d’Hardorn.

Le religieux hocha la tête.

— J’ai été envoyé pour découvrir si vous avez le don requis pour régner sur cette nation et l’aider à se défendre contre ceux qui voudraient la soumettre – dont l’Empire.

Janas inclina la tête, interrogateur. Le feu crépita de nouveau pendant qu’il attendait une réponse. Elle fut concise, mais courtoise.

— Je serais heureux d’avoir l’occasion de prouver ma valeur, mais je dois d’abord souligner que je n’ai jamais été, et ne serai jamais, un traître. L’empereur et l’Empire nous ont abandonnés ici. Nous n’avons pas violé nos serments. Mais on les a reniés pour nous, et il nous reste seulement ceux qui nous tient, mes hommes et moi. En y étant fidèles, si nous pouvons aider la population hardornienne, tout sera pour le mieux. Les temps sont périlleux et la loyauté doit être récompensée par la loyauté. Mais je ne prendrai aucune nouvelle responsabilité qui trahirait le serment que j’ai fait à mes hommes.

— Il n’y aura pas de conflit d’intérêt. Selon nos traditions, le dirigeant d’Hardorn doit posséder un don que nous appelons le sens de la terre. Avant que vous ne consentiez à être testé, je vais vous révéler ce que ça implique.

Janas se lança dans une explication très détaillée. Selon Elspeth, Tremane se montrait beaucoup trop cavalier. Elle ignorait, jusqu’à présent, que le test provoquerait l’éveil du sens, s’il existait à l’état latent. Mais Tremane était apparemment préoccupé par autre chose quand le prêtre lui expliqua qu’il devrait être immédiatement connecté à la terre s’il avait le don.

Son petit discours lui avait peut-être rappelé quelque affaire pressante. Ou n’avait-il pas envie de perdre son temps avec des histoires de religion ? Elspeth aurait juré que Tremane était le genre d’homme à ânonner les rituels sans y penser.

Il est persuadé qu’il ne se passera rien, dit Ventnoir en regardant Tremane. Il connaît assez bien les gens pour avoir compris l’essentiel, pour lui : Janas pense qu’il ferait un bon dirigeant pour Hardorn. A ses yeux, c’est ça le « test », et il vient de le passer. Il a décidé que le prêtre allait faire quelques gestes cabalistiques, déclarer qu’il a le sens de la terre, prononcer quelques phrases, puis affirmer qu’il est connecté à Hardorn. Tout ça sans qu’il sente la moindre différence.

Je crois qu’il se trompe, répondit Elspeth. Il devrait écouter le père Janas, car il n’est pas du tout préparé à ce qui l’attend.

Mais il était trop tard, puisque Tremane s’engagea dès la fin de l’explication de l’Hardornien.

— Je suis prêt, dit-il.

Janas ne lui laissa pas une chance de se rétracter.

— Puis-je venir à côté de vous, messire ? demanda-t-il en se levant.

Tremane acquiesça. Janas fit le tour du bureau et plaça le bout de ses doigts sur les tempes du duc avant qu’il n’ait pu protester.

Puis le prêtre ferma les yeux. Elspeth sursauta quand, au lieu d’un chant, une note très pure sortit de sa bouche.

Le son résonna, envahit ses oreilles et son esprit, chassa ses pensées et la cloua à son fauteuil. Elle n’aurait pas pu bouger, même si la pièce avait pris feu. Elle ne pouvait même pas avoir peur – le ton excluait toute émotion.

Il avait le même effet sur Ventnoir, qui regardait fixement Janas, les yeux ronds et vaguement surpris.

Mais il n’eut pas le même sur le duc…

Tremane se raidit sous les mains de Janas, les siennes venant les couvrir. Pas pour les écarter, mais pour les maintenir en place. Ses yeux se fermèrent, et une seconde note, en harmonie avec la première, jaillit de sa gorge.

L’effet de ces deux sons était indescriptible. Alors même qu’elle en faisait l’expérience, Elspeth aurait été incapable de le définir. Suspendue dans le temps et l’espace, il n’existait rien d’autre pour elle que les notes qui résonnaient dans toutes les fibres de son être et dans son âme. Tous ses sens étaient affectés. Les couleurs s’intensifièrent et devinrent plus riches. Une odeur de plante et de fleurs printanières envahit la pièce.

Combien de temps cela dura-t-il ? Elspeth aurait été incapable de le dire. Une fraction de seconde ou une éternité…

L’instant où ça s’arrêta fut aussi dramatique que celui où tout avait commencé : les yeux de Tremane s’ouvrirent, puis roulèrent dans leurs orbites. Sa bouche se ferma. Ses bras retombèrent et il s’écroula sur son bureau comme si son cœur avait lâché. Elspeth était toujours pétrifiée. Janas cessa de chanter à l’instant où Tremane s’effondra. Il regarda fixement le duc, sonné, en agitant les mains comme s’il s’était brûlé.

— Eh bien, dit-il, c’est sûr, il a le sens de la terre.

Avant qu’Elspeth ou Ventnoir aient pu faire un geste, le prêtre releva Tremane et le secoua un peu.

— Est-ce qu’il…, commença Ventnoir en se levant à demi.

Janas lui fit signe de se rasseoir.

— Le duc souffre de la désorientation consécutive à l’éveil de sa nouvelle et puissante faculté, dit-il. Mais il va bien, je vous le promets. En réalité, il se porte sans doute mieux que jamais.

Tremane était toujours hébété. Il ne réagit pas quand Janas saisit un coupe-papier, lui prit la main et lui piqua le bout de l’index.

Puis le prêtre tira une pincée de terre de sa ceinture. Il retourna le doigt de Tremane et le pressa pour en faire couler une goutte de sang, qui tomba et se mélangea à la terre.

— Au nom des pouvoirs qui existent au-dessus de nos têtes et sous nos pieds, je te connecte au sol d’Hardorn. (Il lâcha la main du duc pour saisir son menton.) Au nom des Hauts Gardiens du peuple, je te connecte au cœur d’Hardorn. (Il prit une pincée de terre et de sang mêlés.) Au nom de la Vie et de la Lumière, je te connecte à l’âme d’Hardorn. Par ce gage, toi et la terre ne faites qu’un.

Il tendit la pincée de terre au duc, qui ouvrit la bouche et – heureusement – l’avala. Car il aurait été de mauvais augure qu’il la recrache.

Janas recula et observa attentivement le duc.

Tremane cligna des paupières un moment. Soudain, il émit une sorte de piaulement et se couvrit les yeux.

Elspeth voulut se lever, mais le prêtre l’arrêta.

— Tout va bien, dit-il avec une immense satisfaction. Je ne peux pas vous faire mesurer à quel point tout est parfait. Il a le sens de la terre le plus puissant qu’il m’ait été donné de voir chez une personne qui le possédait à l’état latent. Voilà pourquoi il est un peu désorienté.

— Désorienté ? fit Tremane. Par les Cent Petits Dieux, c’est au-dessous de la vérité ! (Il haletait, comme s’il avait couru.) Je me sens… comme si j’avais été aveugle et sourd. Soudain, je vois et j’entends ! Et je n’ai pas la moindre idée de ce que signifient les choses que j’éprouve, ni ce que je dois en faire !

Il écarta les mains de son visage, mais son expression étonnée et son regard hébété indiquaient qu’il expérimentait de nouvelles sensations.

— Je crois que je vais être malade, souffla-t-il.

— Non, assura Janas. Ce n’est pas votre corps que vous sentez, mais Hardorn. La terre est malade, pas vous. Malade et fatiguée. Séparez-vous-en. Rappelez-vous comment vous étiez ce matin. Ça, c’est vous, le reste, ce sont les maux de la terre.

— Facile à dire, prêtre, grommela Tremane. Vous n’êtes pas dans ma tête !

Il était pâle et transpirait à grosses gouttes, les pupilles si dilatées qu’on ne voyait presque plus ses iris. Janas gagna la porte et appela des assistants.

— Le duc ne se sent pas bien, dit-il. Mettez-le au lit. Il doit dormir. Je crois qu’il vaut mieux annuler ses rendez-vous de la journée.

Les deux hommes parurent alarmés par l’état de leur chef. L’un d’eux porta la main à son épée et regarda Janas comme s’il le soupçonnait de l’avoir empoisonné.

— Tout va bien, dit le duc. Je suis un peu surmené. Rien de sérieux…

Comme s’il s’agissait d’un code, les deux soldats se détendirent et vinrent aider leur chef à se lever.

— Vous savez bien que les Guérisseurs vous ont recommandé de ne pas vous surmener, murmura l’un d’eux, un homme de l’âge du duc. (Les visiteurs n’étaient sûrement pas censés entendre cette remarque.) Regardez le résultat ! Vous ne pouvez pas vous tuer au travail et ne pas le payer un jour !

— Tout va bien, j’ai simplement besoin de repos, dit Tremane, qui semblait avoir du mal à se concentrer sur ce qui l’entourait.

Au moins, il n’avait plus l’air si désorienté. Elspeth et Ventnoir se levèrent et sortirent en même temps que le prêtre.

— Ne devriez-vous pas rester avec lui pour lui donner des instructions ? demanda le Tayledras, alors qu’ils regagnaient leurs quartiers.

Le vieil homme secoua la tête. Il paraissait toujours suprêmement satisfait.

— Non, il les a déjà toutes. Je m’en suis assuré. Il lui faut simplement les démêler un peu, et il le fera en dormant. Ne vous inquiétez pas, nous pratiquons ce rituel depuis des siècles, et pas seulement sur nos monarques, mais sur des prêtres dont le sens de la terre est latent. Je dois avouer que c’est le plus réussi que j’aie jamais vu !

Janas se frotta les mains, tout content.

— Maintenant, il faudra faire circuler la nouvelle, organiser un couronnement, trouver quelque chose qui ressemble à une couronne… Oh, il doit bien y avoir une centaine de choses à faire !

« Sans vouloir être impoli, il faut que je parte immédiatement. Nous enverrons des agents de liaison, qui s’occuperont de notre nouveau roi. En attendant, puis-je compter sur vous pour l’aider un jour ou deux ?

— Je parviendrai sans doute à lui expliquer ce qu’il ressent, répondit Elspeth, non sans quelques doutes. Je suppose que ce doit être comme la première fois que j’ai été… euh… gratifiée de parole par la pensée.

— Exactement, exactement ! s’écria Janas en ramassant sa vieille robe. (Puis il baissa les yeux sur celle qu’il portait.) Euh… je…

— Considérez que c’est un cadeau de l’Alliance, dit Ventnoir, devinant sa question avant qu’il ne la pose. Et si vos agents de liaison ont besoin d’être mieux habillés, qu’ils s’adressent à nous.

Janas lui prit la main et la serra avec gratitude.

— Merci, merci pour tout ! (Son visage exprimait tant de plaisir qu’Elspeth ne put s’empêcher de lui sourire.) Je dois y aller, maintenant, il n’y a pas un instant à perdre !

Le père ouvrit la porte et sortit. Heureusement, un des gardes le retint pour lui proposer un guide, qu’il accepta d’un air absent. Alors qu’elle refermait la porte, Elspeth l’entendit expliquer à l’homme une partie des choses qu’il devait organiser pour le couronnement du duc.

Elspeth rejoignit Ventnoir, affalé sur le canapé. Soudain, elle aussi se sentait vidée. Elle se laissa tomber à côté de lui.

— Eh bien, fit-il, j’avoue ne pas savoir quoi dire. Elspeth posa la tête sur l’épaule de son compagnon.

— Moi, je peux te dire que je suis soulagée…

Elle tourna la tête pour voir le visage de Ventnoir, qui sourit.

— N’oublie pas ce dicton shin’a’in : « Méfie-toi de tes souhaits, car ils pourraient se réaliser. » Tu as bien souhaité qu’il y ait un moyen de contrôler Tremane ?

— Oui. Je ne peux pas dire que je sois mécontente de ce qui s’est passé. Les conflits entre Hardorniens vont probablement cesser. Ils auront un dirigeant compétent et incapable de maltraiter son peuple ou sa terre… Et j’ai l’étrange impression qu’il ne pensera pas à faire la guerre à ses voisins, à moins qu’Hardorn ne soit menacé.

Ventnoir embrassa Elspeth sur le front, puis appuya sa tête contre le dossier et contempla le plafond.

— Pour le moment, il m’inspire de la sympathie. Ce n’est peut-être pas une punition à la hauteur de ses crimes, mais il souffrira d’un sérieux inconfort, et pendant un certain temps…

— À cause de l’état de ce pays, tu veux dire ?

— Tu as entendu Janas. Hardorn est malade et commence à peine à guérir. Il le sentira jusqu’à ce que la terre soit remise. Et quand les tempêtes magiques recommenceront, il éprouvera dans sa chair tout ce qu’elles lui feront subir.

Elspeth gloussa – pas très charitablement.

— Je me demande quel effet ça fait d’avoir des morceaux de soi arrachés et remplacés par d’autres ?

— Je préfère ne pas y penser ! avoua Ventnoir.

Cette idée ne semblait pas déplaire à l’ancienne princesse. Et elle connaissait quelqu’un qui s’en réjouirait encore plus.

— Je me demande combien de temps il faudra pour que la nouvelle parvienne à Solaris.

Pas longtemps, crois-moi, répondit Gwena. Ah, si je pouvais être une petite souris pour voir sa tête…

Bombardés agents de liaison provisoires entre Tremane et le peuple, Elspeth et Ventnoir durent affronter une dizaine de requêtes dès le lendemain matin.

— Tu sais, il est heureux que nous soyons au milieu de l’hiver, dit Elspeth. Si le temps le permettait, la moitié d’Hardorn voudrait assister au couronnement.

Ventnoir lui avait abandonné la correspondance. Les Frères du Faucon n’ayant pas d’aristocratie, il ignorait la pompe qui allait avec.

— Je me sens aussi perdu qu’une grenouille au milieu du lac Evendim, répondit-il en secouant la tête. Ou qu’un lièvre des forêts au cœur des Plaines. Maintenant, je sais ce que veulent dire tes compatriotes quand ils affirment se sentir comme « le cousin de province ». Je ne sais pas ce que la moitié de ces gens attendent de Tremane !

— Moi non plus, avoua Elspeth. Le monarque est une sorte de pierre de touche pour ceux qui sont habitués aux rois et aux reines. Ils jugent leur propre valeur par rapport à celle qu’ils ont pour leur roi, qu’il soit ou non une personne estimable. Tous ces gens veulent se rassembler autour de Tremane avec l’espoir qu’il déteigne un peu sur eux.

Elle aurait continué, mais on frappa à leur porte. Quand Ventnoir alla ouvrir, à sa grande surprise, Tremane en personne se tenait sur le seuil, en compagnie de son assistant d’âge mûr.

— Puis-je entrer ? demanda-t-il. Quelque chose dans mes souvenirs me dit que vous pouvez peut-être m’aider. À tout démêler, je veux dire.

Ventnoir s’effaça pour le laisser entrer. L’assistant resta dehors, mais il ne quitterait pas le couloir avant que Tremane ne soit ressorti.

Le duc s’assit sur le canapé. Elspeth l’observa attentivement. Pour une fois, il ne cachait rien. Elle le soupçonna d’en être incapable, pour le moment, car il était toujours un peu désorienté, comme le montraient ses yeux hagards. Elle lui tendit une tasse de kav parfumé, une boisson qu’appréciaient les Impériaux, et qu’elle avait adoptée, autant pour son goût que pour ses effets stimulants.

— Vous savez, commença-t-il d’un ton plaintif, à votre arrivée, j’ai dit que j’acceptais votre magie de l’esprit, mais pour tout vous avouer, je n’y croyais pas vraiment. Vous auriez pu faire illusion avec deux bêtes bien dressées et des signaux discrets. Projeter sa pensée dans la tête d’une autre personne… ça n’avait pas de sens. Je pensais qu’il fallait être vraiment crédule pour y ajouter foi.

Elspeth hocha la tête.

— Et aujourd’hui enfin, vous êtes confronté à une chose que vous ne pouvez pas expliquer…

— La magie est censée être logique ! protesta Tremane. Elle est régie par des lois, toutes parfaitement compréhensibles, et qui donnent des résultats prévisibles ! Tout ça est si… si… intuitif, si désordonné…

Ventnoir éclatant de rire, le duc lui jeta un regard soupçonneux.

— Je ne vois pas ce que ça a d’amusant.

— Pardonnez-moi, messire… Très récemment, un de nos amis, convaincu que la magie était purement intuitive – un art sans aucun rapport avec les lois de la logique – a été obligé de la voir telle que vous et vos mages la voyez. Et il a réagi exactement comme vous… le contraste est…

Ventnoir faillit s’étouffer en tentant de ravaler son hilarité. Se souvenant des protestations de Flammechant, Elspeth fit de gros efforts pour ne pas se joindre à lui.

Ça n’aurait pas remonté le moral du duc…

— Quand vous vous y serez habitué, je crois que vous découvrirez que ce don a ses propres règles, et qu’il n’est pas si imprévisible que ça, dit Elspeth. C’est comme si on vous avait déversé dans le cerveau toutes les règles mathématiques et géométriques, puis qu’on vous laisse vous débrouiller avec. Vous êtes submergé d’informations, mais je vous promets que ça changera.

Ventnoir se reprit et s’assit près de Tremane.

— Je vous aiderai autant que possible, promit-il. Je suis sans doute ce qui se rapproche le plus d’un expert, au moins jusqu’à ce que Janas ou un autre arrive.

Le duc soupira, et commença à poser des questions dont le vocabulaire était pour lui aussi nouveau que le concept qu’il exprimait. Elspeth écouta attentivement, l’aidant quand elle le pouvait et relayant les informations que donnait son Compagnon.

Pauvre homme, dit Elspeth, non sans une trace d’ironie. La seule chose qui pourrait encore le déstabiliser, ce serait l’apparition des fantômes de ses ancêtres, ou son élection par un Compagnon.

Ça, c’est une idée, répondit Gwena – qui gloussa devant la réaction horrifiée d’Elspeth : Ne t’inquiète pas. Pour qu’il soit élu, il faudrait que la moitié de la population d’Hardorn et de Valdemar ait été engloutie par la terre. Et encore.

Au moins, maintenant il nous croira, quand nous l’informons que tu as dit quelque chose.

Une constatation satisfaisante. Et il lui vint une autre idée.

Ventnoir, je crois qu’il faut traiter le problème comme s’il était un Empathe. Janas lui a peut-être laissé les moyens de contrôler son don, mais s’il est puissant, son cerveau doit être trop submergé pour les trouver. Essaie de lui enseigner à se centrer et à ériger un bouclier, comme à une personne douée d’Empathie.

Ventnoir changea aussitôt son angle d’attaque. D’après Elspeth, cela serait plus facile pour Tremane que pour un Empathe, qui devait lutter contre les changements d’humeur de son entourage. Hardorn était malade, certes, mais ses projections restaient stables, sans pic d’intensité. Donc, quand il aurait appris à ériger un boucher, il pourrait le renforcer ou l’affaiblir selon ses besoins.

Peut-être ne voudrait-il pas le faire. Il devait savoir quand la terre était blessée, et ça serait impossible si ses boucliers étaient trop forts.

Elspeth regarda Ventnoir guider les premiers exercices de Tremane. Voyant le duc progresser très vite, elle en arriva à une conclusion : Janas lui avait fourni bien plus que des instructions. Pour lui en donner la preuve, dès que le duc eut compris la technique que lui enseignait le Tayledras, il l’appliqua sans faire d’erreur.

Dommage que nous ne puissions pas former les jeunes Hérauts aussi rapidement.

Ça demanderait une capacité que la plupart des Hérauts – et des Compagnons – n’ont pas, répondit Gwena. Je n’avais pas mesuré, jusqu’à maintenant, combien le vieux Janas est remarquable. Oh, vraiment ?

Elspeth vit soudain le prêtre sous un jour différent. Elle se demanda quel rang il occupait dans la hiérarchie de son ordre. Egal à celui du Fils du Soleil ? Seule Solaris aurait pu le dire.

Une chose était sûre : les Hardorniens n’avaient rien laissé au hasard et ils avaient joué gros.

Mais la jeune femme garda tout ça pour elle. Tremane en avait déjà assez sur les bras, entre son nouveau pouvoir et ses responsabilités de futur roi.

Devenir roi. Quelle étrange idée. Je ne connais aucun monarque qui ait été choisi par son peuple depuis… Valdemar.

Encore lui.

Tremane absorba l’enseignement de Ventnoir comme la terre sèche boit la pluie. Peu à peu, ses rides d’anxiété s’adoucirent et les signes de désorientation disparurent. Enfin, il soupira et ferma les yeux, soulagé.

— Je me sens… normal, dit-il, comme s’il avait désespéré de le redevenir un jour.

Il rouvrit les yeux. Ventnoir sourit, satisfait.

— C’est parfait, répondit-il. Vous ne devriez pas avoir à penser à ces boucliers, puisque vous savez ériger des boucliers magiques classiques. Ils resteront en place jusqu’à ce que vous les baissiez ou que vous les affiniez. Désormais, vous sentirez seulement ce qui arrive de bon ou de mauvais à Hardorn.

Tremane rougit un peu et toussota.

— Je crois me rappeler avoir désiré un pouvoir de ce genre…

Le sourire de Ventnoir devint ironique, mais il ne dit rien.

Toute culture doit avoir sa version du proverbe shin’a’in : « Méfie-toi de tes souhaits, car ils pourraient se réaliser. »

— Parfois, les Cent Petits Dieux font preuve d’un sens de l’humour intéressant, soupira Tremane.

— Bien plus encore que vous ne pourriez le croire, renchérit Ventnoir. Grâce au « cadeau » que vous a fait Janas, savez-vous que vous êtes littéralement lié à Hardorn ? Vous ne pourrez jamais quitter votre royaume très longtemps.

Tremane eut un regard sceptique.

— Vous exagérez…

— Non. Janas ne parlait pas abstraitement quand il vous a donné des explications. Je connais assez la magie de connexion pour savoir que vous la subissez, et je doute que quiconque puisse briser le sort. Il s’agit des sortilèges d’une religion primitive, imaginée pour empêcher le roi de partir en exploration au lieu de gouverner.

Elspeth sonda le visage de Tremane, bien moins opaque que d’ordinaire – même s’il l’était encore plus que celui du commun des mortels.

— Donc, cette connexion ne me permettra pas de retourner dans l’Empire.

— Les magies les plus primitives sont les plus puissantes et les plus difficiles à briser. Peut-être devrais-je même dire primales… Je pense que celle-ci remonte aux tribus qui vivaient ici avant le Cataclysme. Ce fut réellement fascinant à regarder : pas de psalmodie, pas de vrai rituel, rien qu’un son pour guider l’invocation, et, bien sûr, un composant mental. Simple, mais efficace, la preuve d’une grande ancienneté…

Tremane semblait sonné.

— C’est parfaitement logique, continua Ventnoir. Prenons une tribu récemment installée ayant abandonné la chasse et la vie errante pour se lancer dans l’agriculture et l’élevage. Malheureusement, les individus les plus capables de la défendre sont aussi ceux qui veulent retourner à leur ancien mode de vie. Pour leur faire assumer leurs responsabilités, une seule solution : les connecter à la terre.

— Oh, je comprends, coupa Tremane, pince-sans-rire. Après tout, c’est moi qui suis le récipiendaire de cette magie « primitive ». Et qui suis prisonnier. Sans vouloir vous manquer de respect, Ventnoir k’Sheyna, spéculer sur les origines de ce rituel ne sert à rien. Ça pourra donc attendre que tout soit rentré dans l’ordre. Alors, Janas et vous parlerez d’histoire jusqu’à plus soif.

Ventnoir ne sembla pas du tout gêné. Il jeta même au duc le regard d’un professeur conscient que son élève passe à côté de l’essentiel.

— Duc Tremane, si vous voulez savoir pourquoi une magie fonctionne, il faut vous intéresser à ses origines et à son objet. Dans les sorts compliqués, les causes, les déclencheurs, les voies et les effets ne sont pas toujours évidents, et souvent fragiles. Dans les sorts primaux, les variables sont moins nombreuses, mais pas nécessairement plus évidentes. Vous ne pouvez pas défaire un charme – à supposer que vous le vouliez – sans savoir comment il a été fait.

— À supposer que je le veuille…, répéta Tremane. (Il se leva pour regarder par la fenêtre.) Par nature, je ne suis pas porté sur la religion.

— Nous le savions déjà, répondit Elspeth, d’un ton si ironique que le duc se retourna.

— Il n’y a pas grand-chose dans l’Empire qui pousse un homme à croire aux dieux. L’Empire se concentre surtout sur les effets tangibles. Les tâches quotidiennes priment sur l’idée qu’il existe une influence divine ou un monde spirituel. Chez nous, ce qui se rapproche le plus d’une religion d’État, c’est le culte des ancêtres. Sous sa plus haute forme, il consiste à vénérer les empereurs défunts et leurs consorts. On les appelle les Cent Petits Dieux. Il n’y en a pas vraiment une centaine, mais un chiffre rond sonne mieux.

— Je m’étais posé la question…, admit Ventnoir.

— Je ne croyais pas non plus au destin, continua Tremane. Néanmoins, depuis mon arrivée, j’ai été confronté à des situations qui m’ont forcé à m’engager sur une voie très particulière. Alors, je me demande si je n’avais pas tort. Après tout, le destin existe peut-être.

Elspeth ne put laisser passer cette occasion.

— Si vous voulez la preuve de l’existence du divin, je suis sûre que Solaris pourra vous organiser une manifestation de Vkandis.

C’était très méchant de sa part. Mais après les crimes dont Tremane s’était rendu coupable, elle ne put s’empêcher de se réjouir en le voyant pâlir.

— Ce ne sera pas nécessaire, dit-il.

— Comme il vous plaira, murmura la jeune femme, échangeant un regard amusé avec Ventnoir.

Eh bien, dit Gwena, voilà qui s’appelle être pris entre l’incendie et le torrent : il porte la malédiction de Solaris et il est connecté à la terre d’Hardorn. Je crois que le grand duc Tremane sera très coopératif avec l’Alliance… parce que s’il ne l’est pas, il ne pourra pas s’enfuir.

Je viens de penser à une autre bonne raison de connecter un roi à son royaume, dit Ventnoir, alors que Tremane se tournait vers la fenêtre. Si on le lie à un endroit, et qu’il ne peut pas en partir, il doit bien le gouverner, sinon il sentira que ça ne va pas.

Espérons qu’il y pense déjà, répondit Elspeth. C’est un bon chef, intelligent et pragmatique. Il devrait comprendre qu’il lui faudra régner sagement et honnêtement. Pour Hardorn et pour l’Alliance, nous ne pouvons pas tolérer moins que ça.

Au coeur des tempètes
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